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Des jouets, des livres...et de la politique
Nous l'avions vu rapidement il y a peu (http://cestmonjouet.eklablog.fr/commercialisation-des-jouets-et-temoignage-litteraire-a187443290), il existe un certain nombre de livres qui parlent de jouets.
La plupart retracent une ou plusieurs marques et sont plutôt destinés aux lecteurs qui ont déjà un pied dans le sujet (les collectionneurs notamment) puisqu'ils retracent l'historique des entreprises, des gammes, des catalogues, les évolutions de marketing, des éventuelles cotations, etc.
Si la plupart sont rédigés par des passionnés, il est plus rare de trouver des bouquins qui sont directement rédigés par les créateurs de jouets eux-mêmes. Il existe toutefois au moins une exception à ce principe: le bouquin "Pour en sortir" d'Emile Véron, l'un des plus grands noms du jouet français de part son parcours personnel et professionnel (Norev-Majorette-SIBO).
Ecrit en 1984, alors que la France est (déjà!) en crise économique et que la gauche est au pouvoir depuis quelques années, il se veut le témoignage d'un chef d'entreprise qui a réussi et qui veut faire bouger les lignes, tant en matière économique que sociale.
Pour faire simple, Emile Véron utilise son parcours personnel pour illustrer plus largement ses idées auprès de la plus large audience possible puisqu'il veut se lancer en politique et qu'il envisage même carrément...de se présenter à la présidentielle de 1988 : en décembre 1984, c'est la naissance du mouvement politique "Réussir".
Dans cet ouvrage, au moins un chapitre est consacré plus particulièrement à l'autobiographie de l'auteur, et s'intitule tout simplement "Majorette". On y apprend plein de choses plutôt intéressantes (les racines familiales d'Emile Véron, son parcours pendant la guerre, etc.) et ses débuts dans le jouet, en 1944 :
Puis vient en 1945, la création de Norev avec plusieurs de ses frères :
Les désaccords existants vont alors pousser Emile Véron à partir. Se pose alors la question de choisir ou non de rester dans ce secteur: la réponse sera oui :
Il décide alors de créer sa propre entreprise, Rail-route Jouets (rebaptisée quelques plus tard Majorette), en 1961 :
Il y a au moins deux choses à retenir de ce court passage: Emile Véron ne veut pas concurrencer la société Norev de son frère, qu'il vient de quitter (entreprise qui fait des voitures en plastique notamment) et il veut plutôt s'inspirer directement des petites voitures en métal d'une marque britannique qui cartonne : Matchbox.
Je ne vais pas m'étendre sur la totalité de cette partie de l'ouvrage (que je vous encourage à lire toutefois si le sujet vous intéresse; une partie est d'ailleurs gratuitement accessible sur Google), mais il est clair qu'en 1984 Emile Véron est au sommet de sa carrière: la société Majorette est au plus haut, elle a racheté et redressé d'autres entreprises de jouets en difficulté (Solido racheté en 1981 par exemple) et son inspirateur et concurrent britannique Matchbox a entre-temps sombré en 1982:
On peut tout à fait comprendre qu'au moment où il écrit ces lignes, Emile Véron soit heureux et fier de son parcours, de sa société, de sa réussite. Le ton de son ouvrage ne plait cependant pas à tout le monde, et Serge Defradat dira même dans son livre consacré à Majorette que certains milieux (financiers, industriels) vont assez mal digérer le mélange des genres, cet étalement de réussite et ce ton de "bon père de famille" un peu donneur de leçon. Un article du Monde pointe déjà un peu ce risque à l'époque :
Pourtant, si ses idées globales sont potentiellement intéressantes (participation des salariés aux résultats de l'entreprise, consultations de ces derniers, etc.), son expérience politique tournera rapidement court et il ne se présentera jamais aux élections présidentielles (peut-être notamment en raison d'un retour de la droite au pouvoir en 1986).
Quant à sa belle entreprise, elle sombrera à son tour en 1992, 10 ans après son concurrent Matchbox. Même si le contexte a un peu changé au cours de ces années, c'est notamment le fait d'avoir délocalisé trop tardivement en Asie qui a joué contre l'entreprise française (attention toutefois, il y aussi d'autres raisons, comme l'explosion des jeux vidéos durant les années 80).
Emile Véron connaitra par la suite des ennuis judiciaires (condamnation pour abus de biens sociaux en 1995) mais ne s'arrêtera pas là toutefois puisqu'il créera avec son fils Alexandre l'entreprise SIBO (spécialisée dans l'import-export de jouets) la même année. Il en sera le gérant jusqu'en 2010.
Emile Véron est décédé en 2013 (https://www.lepoint.fr/automobile/le-fondateur-des-petites-voitures-majorette-est-decede-23-11-2013-1761135_646.php). L'entreprise SIBO, quant à elle, sera mise en liquidation judiciaire et disparaitra en 2019.
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